mercredi 23 mars 2011

"Mégachocs" : et si leurs effets devenaient insurmontables ?

La neige après le séisme à Kamaishi au Japon. 

En 1986, l'année de Tchernobyl, le sociologue allemand Ulrich Beck expliquait, dans La Société du risque (traduit en français en 2001 chez Aubier), que l'extension des risques est consubstantielle à la mondialisation de l'économie industrielle occidentale, et non le résultat de l'affrontement entre l'homme et une nature dont il doit maîtriser les dangers.
A côté des "biens" sont donc produits des "maux", dont la répartition - tout comme, par le passé, celle des biens - devient l'objet central des affrontements sociopolitiques. "Le caractère indéterminé des aléas et des risques a déjà rendu quasi caduques les politiques de sécurité du complexe financiaro-assurantiel sur lequel repose le capitalisme contemporain", déclarait-il dans une interview au "Monde Economie" du 20 novembre 2001.
La triple catastrophe japonaise - séisme, tsunami, nucléaire - confirme cette entrée dans l'ère des "méga-risques", également annoncée par des chercheurs comme Patrick Lagadec (Ecole polytechnique) après les attentats du World Trade Center en 2001.
"Ce n'est pas quelque chose de plus, c'est quelque chose d'autre", écrit-il dans l'ouvrage collectif américain Megacrisis (Charles C. Thomas Pub., 2009), où il ne s'agit plus d'un événement et de ses "effets dominos", mais du blocage simultané des différents systèmes économiques et sociaux en raison de la désintégration des réseaux d'interdépendance qui les relient. "Nous avons été préparés à penser un monde stable, avec des accidents de temps en temps, et à voir les crises comme des moments difficiles à traverser avant de revenir à la normale (...). Mais les "méga-crises" sont le véritable moteur du monde, le principe de son évolution. Nous devons nous préparer à être surpris, et non préparer des plans pour éviter la surprise."

160 MILLIARDS DE DOLLARS

Le coût du séisme et du tsunami japonais est, très provisoirement, estimé à 160 milliards de dollars (113 milliards d'euros), dont 35 milliards à la charge des assureurs.
Le différentiel devra être pris en charge par la collectivité, et donc par le budget de l'Etat, y compris le coût d'une aggravation éventuelle de la catastrophe nucléaire. A chaque fois que le coût du risque a, par le passé, menacé d'excéder les capacités de remboursement de l'assurance privée (terrorisme, tempête, typhon, accident nucléaire), l'Etat a été en effet, à partir d'un certain seuil, appelé à la rescousse.
Mais tous les acteurs savent maintenant que la pyramide assureur-pool d'assureurs-réassureurs-Etat s'écroulerait face à des sinistres encore plus importants, et hautement probables comme, par exemple, un séisme touchant Tokyo ou Los Angeles (évalué, si cela a un sens, à 1 000 milliards de dollars) ou un nuage nucléaire sur le Japon ou l'Europe. Surtout si les Etats eux-mêmes connaissent des déficits budgétaires abyssaux, comme c'est le cas aujourd'hui.
Les spécialistes de la gestion des risques essaient donc d'élaborer de nouveaux types de réponses, capables d'augmenter la résilience des systèmes économiques et sociaux face à des catastrophes aussi gigantesques, le plus souvent à partir de l'observation de cas antérieurs.
Ainsi, dans un article publié par le Journal of Public Economics en septembre 2005 ("Earthquake Fatalities : The Interaction of Nature and Political Economy"), trois chercheurs des universités de Floride et de Charleston (Etats-Unis), Nejat Anbarci, Monica Escaleras, Charles A. Register, parviennent à établir mathématiquement un lien proportionnel entre le nombre de victimes et le niveau des inégalités sociales dans le cas de 269 grands tremblements de terre intervenus entre 1960 et 2002. "Dire que le nombre de morts dans un tremblement de terre est inversement proportionnel au niveau de revenu par tête d'un pays est une banalité, écrivent-ils. Mais notre originalité est de relier le nombre de victimes à la fois au niveau de revenu et au niveau d'inégalité, à travers leur impact conjoint sur la capacité collective à réduire le potentiel destructeur d'un tremblement de terre."

FORTES INÉGALITÉS

Les auteurs démontrent ainsi que des fortes inégalités limitent l'élaboration de règles collectives de prévention et de sécurité, notamment pour les constructions, qu'elles soient résidentielles ou industrielles, ou à organiser des plans de secours, dans la mesure où les catégories les plus aisées ont les moyens de se protéger seules, sans avoir besoin de moyens publics d'intérêt collectif.
Dans son livre Understanding Cairo : The Logic of a City Out of Control (Americain University in Cairo Press), l'économiste et urbaniste David Sims montre que, lors du tremblement de terre de 1992 au Caire, il y eut plus de victimes dans les quartiers résidentiels que dans les bidonvilles.
Explication : alors que les plus pauvres utilisent des techniques rudimentaires, mais efficaces, pour construire des logements capables de résister aux sinistres dont ils savent qu'ils peuvent être les victimes, les classes moyennes sont logées dans des quartiers construits sans respecter les normes légales de sécurité par des promoteurs et entrepreneurs peu scrupuleux, que l'autorité publique n'a pas les moyens de contrôler.
Louise K. Comfort, professeur au Center for Disaster Management de l'université de Pittsburgh (Etats-Unis), a étudié dans son livre Shared Risk (Pergamon Press, 1999) onze tremblements de terre, qui lui ont permis d'observer la façon dont les populations s'auto-organisent pour apporter la meilleure réponse à la catastrophe, de manière -souvent contraire ou bien parallèle aux procédures officielles prévues. D'où sa prescription d'augmenter la capacité d'auto-organisation des populations.
Cela ne peut se faire que dans des conditions "de transparence et de confiance" entre citoyens et autorités, observe Pierre-Alain Schieb, qui dirige à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le "programme sur l'avenir".

UN RAPPORT SUR "LES FUTURS CHOCS MONDIAUX"

L'OCDE rendra dans trois mois à ses Etats membres un rapport sur "Les futurs chocs mondiaux" et les moyens de les affronter.
Il étudie en particulier cinq d'entre eux: risque financier, cyber-risque, pandémie, tempête électro-magnétique (due aux éruptions solaires) et… révolte sociale, à la lumière des travaux les plus récents. Ceux-ci, explique M.Schieb, émettent certaines recommandations.
Premièrement, la nécessité d'élargir la mission des autorités de la concurrence, chargées de la lutte contre les monopoles, à une mission de sécurité. En effet, la concentration de certaines productions ou services stratégiques entre les mains d'un petit nombre d'acteurs met en péril la planète lorsqu'ils sont frappés par une catastrophe. "Il faut de la diversité et de la redondance: faire produire la même chose, par des technologies diverses, à des endroits différents." Le marché n'assurant pas cette diversité, mais générant concentration et spécialisation, c'est aux autorités publiques d'assurer cette pluralité.
Autre recommandation: réunir au sein d'agences uniques les fonctions de régulation et d'intervention. Des outils de surveillance permanente des principaux systèmes stratégiques (télécommunications, marchés financiers, énergie, etc.) doivent permettre d'intervenir dès l'apparition de signes précurseurs ou d'anomalies, par exemple en isolant un opérateur défaillant du reste d'un réseau.
Troisièmement: recréer des "stocks régulateurs" de matières premières stratégiques afin de ne plus dépendre d'acteurs pouvant s'avérer défaillants.
Mais ces recommandations ne sont-elles pas autant de moyens de rendre "réversibles" les effets de vingt années de mondialisation du capitalisme? Cela se justifie quand il s'agit, pour reprendre la définition de M.Schieb, de "gérer des systèmes qui ne sont plus seulement compliqués, mais aussi complexes, en ce sens que leur dynamique propre peut les faire échapper à tout contrôle"?

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